quarta-feira, 26 de setembro de 2007

segunda-feira, 24 de setembro de 2007

Le Christ recrucifié

Ce film noir, presque atroce, d’Enzo Castellari, qualifié à tort de western-spaghetti, est une parabole exemplaire du juste, un hymne à la souffrance. L’ultime coup du cinéaste et du cinéma italien aussi.

Un homme seul, désespéré. Dans un village de boue, de pluie et de sang que la peste ravage, hostile, irrémédiablement. Keoma, l’Indien, est privé désormais de ses trop faibles appuis : un musicien noir, un vieux père adoptif, une femme qui attend un enfant. Tous trois ont péri ou vont disparaître. Tel est le thème de Keoma, exemplaire parabole du juste que vont – à la lettre – crucifier ses frères et dont l’univers, depuis qu’il est né, n’est fait que de souffrances, de haine et d’humiliation. De solitude aussi. Car, pour lui, « bien peu de choses comptent sur cette terre » et « le monde n’est que pourriture ». Film noir, atroce, hymne tout entier à la souffrance. C’est ainsi que s’achève, en 1975, l’ère du western italien. Elle n’aura duré qu’une petite décennie.

Ce western, on l’a très vite et grotesquement qualifié de western-spaghetti (choucroute ou paella, pour ses cousins germaniques ou ibères), voulant moins lui donner par là une tonalité nationale, par le biais de la gastronomie (a-t-on jamais parlé de western-hamburger ?) qu’indiquer, inconsciemment, nous semble-t-il, qu’il s’agissait d’un objet de consommation, dépourvu de tout arrière plan idéologique, historique, esthétique. On a fait depuis lisière de ces a priori (1). On a montré la force de l’idéologie qui sous-tend la plupart de ces films, les références historiques qui les parsèment et l’esthétique si particulière qui les engendre, inspirée du baroque et de l’enflure. Si bien que si western-bouffe il y a, c’est au sens que l’on doit donner au terme dans « opéra-bouffe ».

Pourtant Keoma nous entraîne bien plus loin. Chant du cygne du western, ultime coup d’éclat d’un cinéaste sans génie – mais non sans talent -, Enzo G. Castellari (en fait Enzo Girolami, fils du réalisateur Marino Girolami), auteur d’une transposition du Hamlet de Shakespeare dans le cadre du western (Quella sporca storia nel West, 1968). C’est un film qui nous rappelle, bien tardivement, une constante du genre, dépouillé de ses arlequinades : son premier mythe reste le Christ.

Que de Passions revécues, en effet, dans cet univers de la violence donnée et subie où le héros est, tour à tour, mourant de soif en plein désert (le Bon, la Brute et le Truand, Sergio Leone, 1966), enterré vif sous le soleil de plomb (La mort était au rendez-vous, Guilio Petroni, 1967), fouetté (Texas addio, Ferdinando Baldi, 1966). Où il a les mains broyées (Django, Sergio Corbucci, 1966), les cordes vocales tranchées (Le Grand Silence, du même, 1968). On ira jusqu’à le crucifier (Yankee, Tinto Brass, 1967 ; Blindman, le justicier aveugle, Ferdinando Baldi, 1971 ; et, enfin, Keoma).

Ce Christ recrucifié, mutilé, humilié, se doit de souffrir pour que la vengeance s’accomplisse, la sienne et celle de tous les opprimés, les innocents que la mort a frappés : villageois asservis, femmes meurtries, Noirs, métis ou indiens soumis à l’esclavage et à la violence aveugle. On comprend mieux, dès lors ce cérémonial sanglant qu’est le western italien, ce rituel de la souffrance qui le fait ressembler à certaines cérémonies païennes comme le culte d’Attis ou celui de Cybèle, voire celui de Baal-Moloch.

La Bible y est omniprésente. Depuis la première séquence de Pour quelques dollars de plus (Sergio Leone, 1965), où le chasseur de primes à l’allure de pasteur tient une Bible à la main, jusqu’à cette même Bible sur laquelle se venge Requiescant (Requiescant, Carlos Lizzani, 1967), au nom symbolique, tout comme celui du héros de Una lunga fila di croci (Sergio Garrone, 1969) : « Bibbia », (Bible). Il n’est que souffrance dans Keoma, mais une souffrance nécessaire : le monde est injuste, cruel, nous dit le film, seul un nouveau Messie pourrait le racheter. Mais si Keoma est, lui aussi, brimé, frappé, mutilé par ses frères, s’il cherche son père, s’il vient en aide aux faibles et aux oppromés, il n’y a en lui nul désir de pardon, nulle paix, nul espoir. La mort est sur ce chemin de croix. Pour les autres, amis et ennemis, certes, mais surtout pour lui qui s’en va, abandonnant la seule lueur d’espérance de ce monde perdu : un enfant – dont la naissance a causé la mort de sa mère.

N’est ce pas l’ultime preuve que le mal gagne quand même et que la solitude est au bout de tout chemin ? « Personne n’a besoin de personne sur cette terre ! » Ce sont les ultimes paroles de Keoma. Elles sonnent aussi le glas du western italien, qui va céder la place au film d’horreur, au « gore », à la violence outrageusement mise à nu, comme pour l’exorciser. Ultime vomitorium après une trop grosse platée de spaghetti.

Claude Aziza

(1) Voir, entre autres, les suppléments Radio-télévision datés 21-22 juin et 11-12 octobre 1987. Aucune réflexion sur le western italien ne peut se passer de la remarquable trilogie de Gian Lhassa, Seul au monde dans le western italien, éd. Grand Angle, 1983-1987.

« ... Quant à « Match Point ». À part la police de caractères des cartons du générique und un embryon de voix off aux premières secondes, j'maintiens que l'auteur fatigué W. Allen est presque indécelable, que ce film déchirant et magnifique peut être envisagé tout seul, in itself, et qu'en dernier recours only il est loisible de forcer l'auteurisme thématique, y discernant (forcément !) une culpabilité obsédante. Et là, tour d'écrou qui laisse pantelant, le châtiment tout contemporain : l'impunité. (Well. No spoiler tant que Tlön n'aura pas vu. NB : le film n'est pas Jamesien, mais on y pense.)

Un instant, the scene des remontrances émêchées de la mère à Scarlett Johansson, j'ai craint cette acidité facile à l'épinglage des personnages. Mais non. La scène, par sa simple durée, un peu trop longue (selon l'efficacité dramatique lambda), et une phrase du père sur le verre de trop, in brief ce temps laissé à la gêne qui se dégonfle, accablée, désamorce justement l'accablement méchant de la peinture de classe. La cruauté, plus sourde et plus étale, plus instillée, peut commencer.

Aucun dégoût. Le jeu des trois acteurs principaux, their way de faire corps avec leur personnage, sans distance that is to say sans jugement de leur condition (ingrate), retire toute complaisance au film, sans faire l'économie de son épaisseur sordide, vraiment noire. Ce que fait for instance Emily Mortimer, découverte à tomber, juste avec son petit sac à main et sa façon de se tenir (la scène du musée, par ex.), sans fierté ni bêtise, is just great. L'intelligence du film, entre autres, est là, dans cette capacité à conter une histoire très conventionnelle, une énième fois, en la prenant très au sérieux et furthermore : au tragique. En la rétablissant dans ce qu'elle a précisément, cette histoire-ci, d'unique (et de fatal). Le personnage de Chris s'est rêvé en héros romantique et se réveille minable, en pleine convention « bourgeoise ». En jouant la répétition de son livre de chevet, therefore se lançant obscurément un peu plus loin, mais this time avec le fracas d'un romanesque volontaire, dans sa chute (à moins qu'il n'ait pas lu « Crime et Châtiment » jusqu'au bout, that's possible), « le petit héros » échoue encore. Succeeding.

There lies la tragédie nouvelle, par convention, et la surprenante originalité du film. Reprenant si l'on veut l'exergue dostoïevskien « Si Dieu n'existe pas, tout est permis », « Match Point » fait la démonstration noire que dans le monde d'aujourd'hui la principale et la subordonnée se sont inversées. Et que si tout est permis… (très belle scène des fantômes in the kitchen).

C'est un film romanesque désuet et violemment contemporain.

La mise en scène est souveraine, d'une grâce simple et d'une économie souple incroyables. I won't give details here, c'est déjà fort long. Juste alors, ces glissements sur les visages, ce tempo étonnament « pile » dans les recadrages, dans la loge à l'opéra, or la question d'Emily Mortimer assise sur le sofa à Jonathan Rhys-Meyers (la gaucherie de l'acteur suits perfectly le personnage) qui hésite et ment, then le retour (là où tout le monde aurait coupé net) sur le visage de l'actrice… And so on.

I didn't quote Preminger par hasard. Let's say, par exemple, « Fallen Angel ». And : combien de films magnifiques ont pour figures principales des crapules or… des cyniques ? (Dana Andrews chez Lang or Preminger sometimes.)
»

sexta-feira, 14 de setembro de 2007

Selon vous, est-ce qu'un "cinéaste" se définit d'abord comme quelqu'un qui considère le cinéma comme un art du temps et de la durée ?

Il y a très peu de films dans lesquels l'art du temps s'exerce. Il ne peut y avoir art du temps que s'il y a art de l'espace. Les seuls qui ont vraiment le sentiment du temps, c'est les Straub. Mais le sentiment du temps peut être produit par-delà la durée des plans. Dans mes films, je pense qu'il y a le sentiment du temps, mais il n'est produit ni par le dispositif des plans ni par leur durée. Je ne sais pas ce qui le produit. Alors que chez les Straub, le sentiment du temps est produit par le rapport entre la durée des plans et l'espace. On retrouve un peu ça chez Kiarostami, mais moins nettement que chez les Straub. Alors que chez Hou Hsiao-hsien, l'espace joue plus que le temps, même si les plans durent très longtemps. C'est d'abord de l'exploration spatiale qui n'embraye pas sur du temps. La tenue du plan long ne garantit pas forcément le sentiment du temps. Chez Garrel, il y a le sentiment du temps à l'intérieur du plan mais pas en dehors.

Si vous revendiquez ce droit à la durée et à la flânerie, comment tolérez-vous une époque où il faut sans cesse s'afficher et afficher son style pour avoir le droit d'exister ?

Il faut faire les choses selon sa nature. Très nourri des Grecs et des Latins, je considère qu'il y a les choses qui dépendent de nous et les choses qui ne dépendent pas de nous. Quand on a compris son mode de fonctionnement, il faut s'y soumettre. Moi, je sais que je gagnerai toujours à ce que les choses mûrissent. Si je ne parviens pas à faire un film, ce n'est pas perdu, ça viendra nourrir le film d'après. En fait, je suis très fataliste, il y a toujours de la perte et du gain, même dans les situations les plus terribles, et ça fait partie de l'émerveillement de la vie. Je suis frappé par les contradictions chez les gens, ce qui permet d'inscrire du relatif partout, d'avoir de la distance avec ce qu'on vit soi-même et de ne pas prendre tout au tragique. Sur la question de l'époque, je ne me pose jamais la question. Je fais mes films avec la conscience du présent mais en tant qu'un ensemble de phénomènes de la réalité. A l'intérieur d'une séquence ou d'un film, j'ai envie de mélanger des éléments hétérogènes, sinon hétéroclites, et j'aurais l'impression d'appauvrir la charge de réalité si j'injectais des effets de mode ­ ça m'est impossible.

Tendez-vous vers une invisibilité de la mise en scène, alors que votre manière de diriger les acteurs est unique ?

Pour beaucoup de gens, la mise en scène doit être visible. Si elle ne l'est pas, elle est alors assimilable au tout-venant de la production, c'est le grand malentendu. Mais c'est vrai que ma direction d'acteurs et l'inflexion des phrases ne ressemblent à personne. Et je pense que les gens, spectateurs, critiques ou cinéastes, sont souvent complètement aveugles sur la direction d'acteurs. Alors que pour moi, tout est là. De ce point de vue, Renoir est le cinéaste auquel je donne tout le temps raison. "Tout le monde a ses raisons", même et surtout Renoir ! La direction d'acteurs, c'est-à-dire le sentiment de vérité des êtres filmés, c'est le critère de vérité du cinéma. Or la plupart des cinéastes n'ont pas ce souci de la vérité des êtres filmés. Alors que pour moi, le cinéma, c'est principalement ça. Les films des Straub sont exceptionnels à cause de ça : non parce qu'ils font des plans longs ou implacables, mais parce que les acteurs véhiculent des effets de vérité qui découlent d'une conversion de la direction d'acteurs vers une recherche de la vérité des êtres humains. Dans mes films, les gens peuvent être déçus de ne pas retrouver la technique habituelle de leurs chers acteurs, parce que je ne respecte pas les codes du moment et le ronron habituel. Chez moi, le poids des gens à filmer est plus fort que tout, plus fort que le désir de combiner des genres. Dans Trois ponts..., j'ai coupé des scènes qui étaient trop rocambolesques, trop feuilletonesques, et qui me faisaient perdre la réalité.

Dans votre mise en scène, vous cultivez aussi l'aléatoire et l'accidentel ?

La dimension documentaire des films m'intéresse beaucoup. J'aime bien saisir des choses qui viennent de la réalité à l'intérieur d'un plan. Mais il n'y a aucune prétention à vouloir montrer de "l'arraché" à la réalité. Dans le recueil de mes chroniques des Cahiers, Poétique des auteurs (Cahiers du cinéma, 1988), il y a un article que j'ai intitulé Le Papillon de Griffith, à propos du Rayon vert de Rohmer. C'est un cinéma dans lequel le passage d'un papillon dans un plan appartient à la nature du plan et renforce l'impression de réalité. Beaucoup de cinéastes attendraient que le papillon passe pour faire jouer les acteurs, parce qu'ils considèrent que le papillon distrairait le spectateur de l'action dramatique. Alors que chez Rohmer, tout demande que le plan soit habité par les choses de la réalité. Chez Resnais, Sternberg ou Visconti, un papillon ne peut pas passer. Chez Kubrick non plus, interdit de papillon ! Chez les Straub, Ford, Walsh, Naruse ou Rivette, le papillon peut passer. Le papillon ne peut passer que chez les cinéastes où il y a de la contemplation du monde.

---

Biette, aqui.

Arquivo do blog